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L’emploi précaire connaît une progression constante en France et dans le monde depuis les années 1980. Cette tendance s’est particulièrement accentuée à partir des années 2000, avec un recours massif aux contrats à durée déterminée (CDD) et à l’intérim comme le révèle la récente étude de la Dares de mars 2025. La part des CDD dans les embauches est passée de 72% en 2000 à 83% en 2023, illustrant cette précarisation croissante du marché du travail. Cette flexibilité recherchée par les employeurs engendre une instabilité professionnelle pour de nombreux salariés, soulevant d’importantes questions sur les conséquences pour leur santé mentale et leur bien-être professionnel. Comment le travail temporaire affecte-t-il l’équilibre psychologique des travailleurs ? Quels sont les impacts réels de cette précarité sur la satisfaction au travail et la qualité de vie ?

I. Qu’est-ce que l’emploi précaire ?

A. Définition et caractéristiques

L’emploi précaire désigne toute forme de travail caractérisée par une instabilité contractuelle et une incertitude quant à la durée de la relation d’emploi. Il regroupe principalement les contrats à durée déterminée (CDD), les missions d’intérim et les contrats courts. Ces formes d’emploi temporaire se distinguent par leur fragilité statutaire et l’absence de garantie à long terme qu’elles offrent au salarié.

Une distinction importante existe entre l’emploi précaire choisi et subi. Certains travailleurs privilégient volontairement la flexibilité de ces contrats, notamment pour concilier vie professionnelle et personnelle ou acquérir diverses expériences. En revanche, pour beaucoup, cette précarité est subie, créant une insécurité professionnelle persistante. Selon l’étude de la Dares (2025), seuls 23% des salariés en CDD déclarent avoir choisi ce type de contrat, contre 46% des intérimaires.

B. Les causes de la précarisation de l’emploi

La précarisation croissante du marché du travail résulte de plusieurs facteurs. La mondialisation a intensifié la concurrence internationale, poussant les entreprises à rechercher davantage de flexibilité dans leur gestion des effectifs. Les crises économiques successives ont également incité les employeurs à limiter les engagements à long terme.

Les stratégies de ressources humaines ont évolué, privilégiant des recrutements en contrat temporaire pour répondre à des besoins ponctuels ou tester les compétences avant un éventuel recrutement permanent. Comme le souligne l’étude de la Dares (2025), les employeurs recourent aux CDD courts principalement pour “répondre à des besoins de main-d’œuvre ponctuels, peu prévisibles et de courte durée”.

II. Les impacts de l’emploi précaire sur la santé mentale

A. Stress et insécurité de l’emploi

L’emploi précaire génère une insécurité professionnelle qui constitue un facteur majeur de stress. Les salariés en contrat temporaire vivent dans l’incertitude constante concernant leur avenir professionnel, ce qui provoque une anxiété chronique. Selon l’étude de la Dares (2025), les travailleurs en emploi temporaire sont significativement plus exposés à l’insécurité de l’emploi que ceux en CDI. L’indicateur d’insécurité est de 0,42 pour les CDD contre 0,33 pour les CDI, et atteint 0,46 pour les intérimaires.

Cette insécurité se traduit par des inquiétudes quotidiennes concernant le renouvellement du contrat, la recherche permanente d’un nouvel emploi, et l’impossibilité de se projeter dans l’avenir. Les conséquences psychologiques sont multiples : troubles du sommeil, irritabilité, difficultés de concentration, et parfois dépression. Les salariés précaires doivent constamment prouver leur valeur pour espérer un renouvellement ou une embauche permanente, créant une pression supplémentaire.

B. Burn-out et épuisement professionnel

Contrairement aux idées reçues, les travailleurs précaires ne sont pas épargnés par l’épuisement professionnel. Si leur engagement peut sembler limité par la durée de leur contrat, ils sont souvent soumis à des exigences de performance accrues pour justifier leur présence. L’étude de la Dares (2025) révèle que les salariés en emploi temporaire souffrent d’un manque d’autonomie significatif (0,59 pour les CDD et 0,49 pour les intérimaires contre 0,67 pour les CDI), facteur reconnu de risque psychosocial.

L’instabilité contractuelle peut engendrer une surcharge mentale : le salarié doit à la fois s’investir dans son poste actuel tout en préparant sa prochaine recherche d’emploi. Cette double charge cognitive favorise l’épuisement mental. De plus, les travailleurs précaires bénéficient généralement de moins de formation et d’accompagnement, ce qui peut les placer en situation de difficulté face aux exigences du poste.

C. La santé mentale des travailleurs temporaires face à l’imprévisibilité

L’imprévisibilité constitue l’un des aspects les plus préjudiciables de l’emploi précaire pour la santé mentale. Les données de la Dares (2025) montrent que les travailleurs temporaires sont davantage exposés à l’imprévisibilité des horaires (0,20 pour les CDD et 0,28 pour les intérimaires contre 0,15 pour les CDI).

Cette incertitude affecte profondément le moral et la motivation des salariés. Ne pas savoir si l’on travaillera le mois suivant, ou à quelles conditions, rend difficile toute planification personnelle et familiale. Les salariés en emploi précaire rapportent des difficultés à obtenir des crédits bancaires ou à louer un logement, ce qui amplifie leur sentiment de précarité sociale au-delà de la sphère professionnelle.

La reconnaissance professionnelle, facteur essentiel de bien-être au travail, est également impactée. Si la reconnaissance à court terme peut être bonne (0,67 pour les CDD contre 0,64 pour les CDI), la reconnaissance à long terme est significativement plus faible (0,49 pour les CDD contre 0,56 pour les CDI), renforçant le sentiment de dévalorisation. 

Tableau comparatif des indicateurs de bien-être selon le type de contrat
Indicateur CDI CDD Intérim
Satisfaction professionnelle (sur 10) 6,96 6,71 6,18
Insécurité de l’emploi 0,33 0,42 0,46
Autonomie 0,67 0,59 0,49
Imprévisibilité des horaires 0,15 0,20 0,28
Pénibilité physique 0,32 Non précisé 0,53
Reconnaissance à court terme 0,64 0,67 Non précisé
Reconnaissance à long terme 0,56 0,49 Non précisé
Source : Étude Dares, Document d’études n°279, mars 2025

III. Les effets de l’emploi précaire sur la satisfaction professionnelle

A. La satisfaction dans les emplois temporaires

L’étude de la Dares (2025) révèle des écarts significatifs de satisfaction professionnelle entre salariés permanents et temporaires. Les personnes en emploi précaire présentent généralement une satisfaction professionnelle inférieure (6,71 sur 10 pour les CDD contre 6,96 pour les CDI). Cette différence est encore plus marquée pour les intérimaires, qui affichent une satisfaction moyenne de 6,18 sur 10.

Des variations notables existent selon le type de contrat temporaire. Les salariés en CDD long (plus de 6 mois) ou ayant choisi ce type d’emploi présentent une satisfaction comparable à celle des salariés permanents. En revanche, ceux en CDD court (3 mois ou moins) ou subissant cette précarité manifestent une satisfaction nettement inférieure. La durée et le caractère choisi ou subi du contrat précaire apparaissent donc comme des déterminants majeurs de la satisfaction professionnelle.

B. Pourquoi les travailleurs précaires sont-ils moins satisfaits ?

Plusieurs facteurs expliquent cette moindre satisfaction des travailleurs précaires. L’absence de perspectives professionnelles constitue l’un des principaux motifs d’insatisfaction. Sans visibilité sur leur avenir dans l’entreprise, les salariés temporaires peinent à s’investir pleinement et à trouver du sens dans leur travail.

Les conditions de travail constituent un autre facteur déterminant. La Dares (2025) démontre que les salariés temporaires, particulièrement les intérimaires, sont davantage exposés à des conditions difficiles : pénibilité physique (0,53 pour les intérimaires contre 0,32 pour les CDI), horaires atypiques et imprévisibilité des plannings. Ces conditions défavorables altèrent leur expérience professionnelle quotidienne.

L’intégration limitée dans les équipes représente également un facteur d’insatisfaction. Les travailleurs temporaires se sentent souvent exclus des processus décisionnels et des projets à long terme. Ce sentiment d’appartenir à une “périphérie” de l’entreprise, contrairement aux salariés permanents qui forment le “noyau dur”, affecte négativement leur sentiment d’inclusion et leur motivation.

mindmap root((Emploi précaire
& Stress)) Insécurité Incertitude du renouvellement Difficultés de projection Recherche permanente d'emploi Pression de performance Besoin de prouver sa valeur Évaluation constante Imprévisibilité Horaires variables Plannings incertains Double charge mentale Investissement poste actuel Préparation recherche future Intégration limitée Sentiment d'exclusion Manque d'appartenance

IV. Comment limiter les impacts négatifs de l’emploi précaire ?

A. Les bonnes pratiques RH pour soutenir les travailleurs précaires

Les entreprises peuvent mettre en œuvre plusieurs actions pour atténuer les effets néfastes de l’emploi précaire sur la santé mentale et le bien-être des salariés. L’intégration systématique des travailleurs temporaires, avec un accueil et une formation comparables à ceux des permanents, constitue une première étape fondamentale.

La transparence sur les possibilités d’évolution ou de renouvellement des contrats permet de réduire l’incertitude. Proposer des parcours de progression clairs, même pour les emplois temporaires, contribue à maintenir la motivation. Les entreprises peuvent également développer des programmes d’accompagnement psychologique spécifiques pour ces salariés, particulièrement exposés aux risques psychosociaux.

La mise en place de contrats plus stables, comme des CDD longs plutôt que des CDD courts à répétition, constitue également une piste d’amélioration, l’étude de la Dares (2025) démontrant que les salariés en CDD long présentent un niveau de bien-être supérieur.

B. Responsabilité des entreprises

Les entreprises ont une responsabilité sociale dans la gestion de leurs travailleurs précaires. Intégrer ces salariés dans la stratégie RH globale, plutôt que de les considérer comme une variable d’ajustement, permet de développer une politique plus équilibrée et respectueuse du bien-être de tous les collaborateurs.

Certaines entreprises commencent à repenser leur usage des contrats précaires, notamment en créant des pools de salariés temporaires réguliers, bénéficiant d’avantages progressifs et d’une priorité de réembauche. Cette approche permet de concilier la flexibilité recherchée par l’employeur avec une plus grande sécurité pour le salarié.

L’investissement dans le développement des compétences des travailleurs temporaires constitue également un levier d’action. Proposer des formations valorisantes, même pour des contrats courts, améliore l’employabilité future et réduit le sentiment de précarité en développant le capital humain du salarié.

Conclusion

L’emploi précaire, en forte progression depuis plusieurs décennies, impacte significativement la santé mentale et le bien-être professionnel des salariés concernés. L’insécurité, le stress et le manque de reconnaissance à long terme constituent des facteurs délétères pour l’équilibre psychologique des travailleurs temporaires. La satisfaction professionnelle s’en trouve généralement diminuée, particulièrement lorsque la précarité est subie plutôt que choisie.

Face à ces constats, les entreprises ont un rôle déterminant à jouer dans l’amélioration des conditions des emplois précaires. Une gestion RH responsable, intégrant pleinement ces travailleurs et leur offrant des perspectives claires, peut contribuer à réduire les impacts négatifs de la précarité tout en préservant la flexibilité nécessaire aux organisations. L’enjeu consiste à trouver un équilibre entre les besoins économiques des entreprises et le bien-être des salariés, condition indispensable d’un marché du travail plus humain et durable.

Source : Étude “Emploi temporaire court, long, subi ou choisi… Quelles conséquences sur les conditions de travail et le bien-être des salariés ?”, Dares, Document d’études n°279, mars 2025.

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