Ce qu’il faut retenir : face à l’inertie législative française, le congé menstruel émerge exclusivement grâce à l’audace d’entreprises pionnières contournant le vide juridique actuel. Cette prise en compte concrète de la santé féminine, alors qu’une salariée sur deux subit des règles douloureuses, marque une évolution sociétale majeure vers une meilleure qualité de vie au travail, malgré les craintes persistantes de discrimination.

 

Alors que la douleur physique impose le silence à des milliers de salariées, l’absence de cadre légal pour le congé menstruel entreprise maintient un vide béant et injustifiable dans le droit du travail français. Cette analyse dresse un état des lieux factuel des initiatives pionnières qui contournent l’inertie législative actuelle pour répondre enfin à cette urgence sanitaire trop longtemps ignorée par les pouvoirs publics. Au-delà des simples débats stériles, vous découvrirez les mécanismes concrets adoptés par les organisations audacieuses pour transformer une réalité biologique douloureuse en un véritable levier d’égalité professionnelle et de performance durable.

  1. Congé menstruel en France : un vide juridique qui fait débat
  2. Les entreprises pionnières qui montrent la voie
  3. Entre bien-être et risque de discrimination : le débat est ouvert
  4. Mettre en place le congé menstruel : comment faire et quelles alternatives ?
  5. Quel avenir pour le congé menstruel en France ?

Illustration symbolisant le débat sur le congé menstruel et le vide juridique en France

Congé menstruel en France : un vide juridique qui fait débat

L’état de la législation française : le grand flou

Soyons clairs : il n’existe aucune loi nationale encadrant le congé menstruel dans l’Hexagone. Vous ne trouverez rien dans le Code du travail. Si le sujet est sur la table, c’est pour l’instant le statu quo absolu au niveau législatif.

Pourtant, des propositions de loi ont été déposées en 2023 et 2024, mais elles se sont heurtées à un rejet du Parlement. Le gouvernement redoute principalement que ce dispositif n’entraîne une discrimination à l’embauche ou une atteinte à la confidentialité.

Pendant ce temps, l’Espagne est devenue le premier pays européen à légiférer en février 2023, soulignant notre retard. Pourtant, l’Asie est pionnière : le Japon ou l’Indonésie ont franchi ce pas il y a des décennies.

Un sujet de santé publique ignoré au travail

Les chiffres donnent le vertige. Selon l’IFOP, une femme sur deux souffre de règles douloureuses (dysménorrhées). Chez les plus jeunes, ce taux grimpe à 60 %. Il ne s’agit pas d’un simple inconfort, mais d’une réalité massive.

Ajoutez à cela des pathologies comme l’endométriose, touchant 10 % des femmes. Ces douleurs ne s’arrêtent pas à la porte du bureau ; elles entraînent des absences forcées qui impactent directement la vie professionnelle.

Le décalage avec le monde pro est flagrant. Alors que 68% des Françaises réclament ce congé, la souffrance reste taboue. Une étude révèle que 65% de salariées ayant rencontré des difficultés au travail liées à leurs règles se sentent démunies face au silence des entreprises.

Les entreprises pionnières qui montrent la voie

Puisque la loi ne bouge pas, ce sont les entreprises et certaines collectivités qui prennent les devants. Voyons qui sont ces précurseurs et comment ils s’organisent.

Des initiatives venues du terrain

Face à l’inaction politique, des entreprises privées et des collectivités territoriales expérimentent depuis 2021. Ce mouvement de fond pallie l’absence de cadre légal par des actions concrètes.

C’est le cas de La Collective, une SCOP qui a été la toute première en France à lancer le dispositif dès 2021. Elle offre un jour de congé payé par mois à ses salariées.

Des acteurs publics s’y mettent aussi, comme la mairie de Saint-Ouen. Elle a instauré un système similaire, prouvant que la fonction publique territoriale s’engage également.

Comparatif des dispositifs existants : un modèle à la carte

Il n’y a pas de modèle unique. Chaque entreprise adapte le congé menstruel à sa culture et ses contraintes. Les modalités varient donc énormément d’une structure à l’autre.

Ce tableau synthétise les approches de quelques entreprises emblématiques pour mieux comprendre les différences. Il illustre comment chaque organisation place le curseur entre confiance et contrôle.

Entreprise/Collectivité Nombre de jours Justificatif requis Rémunération
La Collective (SCOP) 1 jour/mois Non 100%
Goodays 1 à 3 jours/mois Non (simple signalement) 100%
L’Oréal 3 jours/an (pour endométriose) Oui (certificat médical) 100%
Carrefour 12 jours/an (pour endométriose avec RQTH) Oui (justificatif RQTH) 100%
Mairie de Saint-Ouen 2 jours/mois Oui (certificat médical annuel) 100% (sans jour de carence)

Entre bien-être et risque de discrimination : le débat est ouvert

Les arguments en faveur d’un nouveau droit social

Soyons clairs : travailler pliée en deux n’est viable pour personne. L’objectif premier est de protéger la santé et le bien-être des salariées. On arrête enfin de nier une réalité physiologique pour offrir un repos nécessaire, loin des antidouleurs systématiques.

Pour l’entreprise, ce n’est pas un cadeau, c’est un investissement. Cette flexibilité génère une reconnaissance immédiate et booste l’engagement des équipes. C’est un levier puissant pour fidéliser les talents qui se sentent enfin écoutés.

  • Amélioration concrète de la qualité de vie au travail (QVT).
  • Levée progressive du tabou des règles.
  • Gain de productivité en limitant le “présentéisme” inefficace.
  • Renforcement immédiat de la marque employeur.

Les freins et les craintes légitimes

Mais attention au revers de la médaille. Le risque majeur reste la discrimination à l’embauche. Si les employeurs anticipent des absences mensuelles, ils pourraient bouder les candidatures féminines. C’est l’argument massue qui inquiète, à juste titre, de nombreuses associations féministes.

Ensuite, il y a le mur du secret médical. Devoir dire à son manager “j’ai mes règles” pour justifier une absence ? Gênant, voire intrusif. Trouver l’équilibre entre transparence et respect de l’intimité reste un véritable casse-tête organisationnel.

Certains médecins tirent aussi la sonnette d’alarme. La gynécologue Brigitte Letombe rappelle qu’une douleur invalidante n’est pas “normale”. Au lieu d’un simple congé, elle préconise une consultation pour dépister une pathologie cachée. Ne normalisons pas la souffrance.

  • Risque réel de renforcer les stéréotypes de genre archaïques.
  • Coût financier incertain pour l’entreprise ou la Sécurité Sociale.
  • Complexité de gestion quotidienne pour les managers de proximité.

Mettre en place le congé menstruel : comment faire et quelles alternatives ?

Malgré les débats houleux, certaines entreprises audacieuses veulent passer à l’action sans attendre une loi hypothétique. Concrètement, comment s’y prendre sans braquer les équipes ? Et si le congé n’est pas la solution miracle, quelles sont les autres options sur la table ?

Les clés d’un déploiement réussi en entreprise

Vous voulez éviter la guerre des tranchées au bureau ? La communication interne reste le nerf de la guerre pour l’acceptation du projet. Il faut expliquer la démarche à tous, hommes inclus, pour tuer les rumeurs dans l’œuf. Formez vos managers, c’est non négociable.

Oubliez le flicage administratif pesant. Les dispositifs qui cartonnent, comme chez Louis ou Goodays, reposent sur une simple déclaration sans justificatif médical. La confidentialité doit primer pour garantir l’adhésion réelle des équipes.

Cette confiance radicale change la donne en interne. Une telle politique, bien menée, participe activement à bâtir une culture d’entreprise résiliente et sincèrement bienveillante. C’est un investissement humain rentable.

Au-delà du congé : les autres aménagements possibles

Le congé sec n’est pas l’unique réponse aux douleurs. Certaines structures préfèrent des solutions plus souples pour démarrer. C’est souvent une première étape pragmatique pour tester le terrain sans tout bouleverser.

Ne sous-estimez pas l’impact sur votre attractivité. Ces aménagements deviennent des arguments massifs dans un contexte de reverse recruiting où les talents sélectionnent désormais les employeurs pour leurs valeurs. Vous risquez de perdre les meilleurs profils.

  • Autoriser le télétravail de manière flexible ces jours-là.
  • Proposer des aménagements d’horaires.
  • Mettre à disposition des salles de repos.
  • Fournir gratuitement des protections hygiéniques.

Quel avenir pour le congé menstruel en France ?

Le chemin est donc encore long. Entre les obstacles culturels et les avancées sur le terrain, quel futur se dessine pour ce droit ?

Les obstacles juridiques et culturels persistants

C’est un véritable bras de fer administratif. Les initiatives des mairies finissent souvent au tribunal, systématiquement invalidées par les préfectures. Ces dernières estiment, assez rigidement, que cela sort du cadre légal de la fonction publique territoriale.

Le tabou culturel pèse aussi très lourd. Même quand le dispositif existe, le taux de recours reste anecdotique (parfois moins de 2 %), preuve que la peur du jugement paralyse.

Le fond du problème est structurel : notre droit du travail repose sur un modèle masculin historique. Comme le note cette analyse juridique, intégrer des réalités physiologiques féminines exige une refonte de notre logiciel social.

Vers une reconnaissance progressive par la négociation

L’avenir immédiat passera par la négociation collective. De plus en plus d’accords d’entreprise intègrent désormais le sujet, l’insérant intelligemment dans les discussions sur la QVCT ou l’égalité professionnelle.

L’accord signé chez QUEVILLY HABITAT en juillet 2024 en est la preuve. Ce type d’initiative montre qu’une dynamique de fond est enclenchée pour contourner l’inertie législative actuelle.

La généralisation n’est pas pour demain, mais le sujet est sorti de l’ombre. Cette multiplication d’initiatives locales prépare sans doute le terrain à une reconnaissance plus large et inévitable.

Face à l’inertie législative, le monde du travail français brise timidement le silence imposé aux corps souffrants, laissant aux entreprises le soin de pallier ce vide juridique. Si la crainte d’une stigmatisation persiste, ces initiatives privées tracent la voie d’une nécessaire adaptation, transformant progressivement une réalité biologique tue en un futur droit social incontournable.

FAQ

En quoi consiste exactement le congé menstruel ?

Le congé menstruel désigne un dispositif permettant aux salariées souffrant de règles douloureuses, ou dysménorrhées, de s’absenter de leur poste de travail sans perte de salaire ni répercussion sur leurs congés payés. Il s’agit de reconnaître une réalité physiologique invalidante, qui touche une femme sur deux selon l’Ifop, et de cesser de considérer cette souffrance comme une fatalité silencieuse. Concrètement, cela prend souvent la forme d’un à trois jours d’absence autorisée par mois, ou d’aménagements flexibles comme le télétravail, bien que ce droit ne soit pas encore inscrit dans le Code du travail français.

Est-il légalement possible de s’absenter du travail en raison de règles douloureuses ?

Dans l’état actuel de la législation française, marquée par un vide juridique persistant, il n’existe aucun droit automatique à s’absenter spécifiquement pour ce motif. Si une salariée ne peut pas travailler à cause de la douleur, elle doit, par défaut, solliciter un arrêt maladie classique auprès d’un médecin, ce qui implique souvent un délai de carence pénalisant financièrement. L’absence n’est “autorisée” sans arrêt maladie que si l’entreprise ou la collectivité a pris l’initiative de signer un accord interne ou une décision unilatérale instaurant ce congé spécifique.

Comment une salariée peut-elle bénéficier de ce dispositif en l’absence de loi nationale ?

L’accès à ce droit relève aujourd’hui de la “loterie” d’entreprise, dépendant exclusivement du bon vouloir de l’employeur. Pour en bénéficier, la salariée doit vérifier si un accord d’entreprise a été négocié, comme c’est le cas chez Carrefour pour les femmes atteintes d’endométriose ou au sein de la SCOP La Collective. Si aucun dispositif n’existe, la seule voie reste le dialogue social : les représentants du personnel peuvent porter cette revendication lors des négociations sur la Qualité de Vie et des Conditions de Travail (QVCT), en s’appuyant sur les expérimentations réussies ailleurs.

Qui assure le financement de ces jours d’absence ?

Puisque les propositions de loi visant une prise en charge par la Sécurité sociale ont été rejetées par le Parlement en 2024, la charge financière incombe actuellement et exclusivement à l’entreprise ou à la collectivité qui met en place la mesure. Des structures pionnières comme la mairie de Saint-Ouen ou l’entreprise Goodays ont fait le choix d’absorber ce coût pour maintenir le salaire à 100 %, considérant cette dépense comme un investissement en faveur de l’égalité professionnelle et du bien-être, plutôt que comme une perte sèche.

Quels justificatifs sont exigés pour valider une absence liée à la dysménorrhée ?

Les modalités varient grandement selon la culture de l’organisation, oscillant entre une confiance totale et un contrôle médical strict. Certaines entreprises, privilégiant la confidentialité, acceptent une simple déclaration sur l’honneur ou un signalement au manager, sans exiger de preuve médicale à chaque cycle. D’autres, comme L’Oréal ou Carrefour, conditionnent l’octroi de ces jours à la présentation d’un certificat médical attestant d’une pathologie comme l’endométriose, ou d’une Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH), ce qui peut être perçu comme un frein par certaines salariées réticentes à dévoiler leur intimité médicale.

Comment aborder la question des règles avec son employeur ?

Briser le tabou des menstruations dans la sphère professionnelle reste une épreuve, tant le sujet a été historiquement invisibilisé. Si l’entreprise ne propose pas de dispositif dédié, il est conseillé de s’adresser aux services de santé au travail ou aux ressources humaines plutôt qu’à son manager direct si l’on craint un manque de bienveillance. L’objectif est de dépasser la gêne pour présenter la situation sous l’angle de la santé au travail et de la productivité, en proposant des solutions pragmatiques comme le télétravail ponctuel, qui constitue souvent une première étape acceptable pour les employeurs réticents.

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